Dans l’atelier de Serge Marzin
J’ai décidé de mettre le processus créatif au centre de ma démarche et de mes interrogations. Pour cela, je me suis dit que ce serait bien de rencontrer d’autres artistes et de les interroger sur leur pratique, leurs sources d’inspiration et la mise en œuvre de leurs idées. Parmi la liste de ceux que je désire rencontrer, Serge Marzin, graveur-buriniste à Saint Pol de Léon, figurait en très bonne place. Son travail et ce que j’avais lu de lui me faisaient penser à Christian Bobin et à Erri de Luca qui ont une approche similaire de la création et de la vie, dans une domaine différent. Serge Marzin m’a dit oui très vite et l’interview s’est organisée rapidement. Il m’a reçu un après-midi bruineux dans sa maison-atelier de Saint Pol, avec beaucoup de générosité.

De la peinture à la gravure
J’ai commencé le dessin d’une manière particulière. Lorsque j’avais onze ans, ma mère a été hospitalisée. Elle était en soins stériles, dans une chambre à part. Je la voyais derrière une vitre, je faisais son portrait à chaque visite. Cela a duré un an. A l’âge de douze ans, j’ai continué cette discipline du portrait. A seize ans, j’ai pris la route. Je suis sorti de l’école avec un CAP de mécanicien ajusteur-outilleur (compétence qui m’est très utile aujourd’hui!). Personne ne voulait me prendre dans l’industrie. J’ai vécu de petits boulots, mais aussi des portraits que je réalisais, notamment dans les cafés, en Bretagne et sur la côte atlantique.
La peinture est arrivée après. J’ai réalisé des portraits sur commande, à l’époque où j’étais à Paris. J’ai aussi beaucoup travaillé sur le monde de la pêche lors de mes séjours en Bretagne. Le port de commerce de Brest était une source d’inspiration quasi-inépuisable. Quand je présentais mon travail, je disais souvent que j’étais un sculpteur raté. J’avais essayé de sculpter, mais je ne m’étais pas trouvé très pertinent. J’ai besoin du contact avec la matière, aussi peu à peu je suis allée vers la gravure. Alors que je travaillais à Créteil, je profitais de l’heure de midi pour aller observer les graveurs à travers les vitres d’un atelier. Le patron a fini par me demander pourquoi je faisais le pied de grue devant sa vitrine. Je lui ai répondu : j’apprends. Il m’a dit : la gravure, ça ne s’apprend pas comme ça! Il m’a autorisé à entrer et à observer le travail de plus près. J’apprends beaucoup par mimétisme. Quand j’ai vu la lenteur, la précision du travail, je me suis dit : c’est pour moi ça! J’ai commencé à m’acheter des outils et à graver mes premières matrices en cuivre. Mais je n’osais pas demander à ce qu’on en fasse des impressions.
A mon retour en Bretagne, j’ai rencontré Mikel Chaussepied. J’ai aimé son travail, et notamment ses noirs. Pour les graveurs, le noir est une couleur. Je lui ai raconté mon parcours, et il m’a proposé de venir dans son atelier et de faire une impression. Le soir même, j’ai acheté ma première presse!
Quand j’ai vu la première impression, je me suis dit, ça, c’est pas du dessin. C’est autre chose, ça vit, c’est magique! La précision, la finesse : tout était au rendez-vous! Pendant six mois, j’ai fait en parallèle peinture et gravure, mais au bout de ce temps-là, il n’y avait plus de peinture dans mon atelier! La gravure m’avait absorbé complètement. J’ai perdu bien sûr quelques clients qui m’achetaient régulièrement des toiles. C’était une réelle prise de risque, mais le besoin qui me poussait était plus fort que tout.
Quand j’ai dit à Mikel Chaussepied que je voulais devenir buriniste, il a rit et m’a dit : quel orgueil! C’est extrêmement difficile, il faut au moins cinq ans d’études, tu n’y arriveras pas. Evidemment, ce n’est pas le genre de choses qu’il faut me dire! Donc, j’ai acheté mon premier burin et je me suis mis au travail. J’ai trouvé l’outil grandiose et parfaitement à ma taille. Voilà comment je suis devenu buriniste!
La matrice de cuivre L’impression sur papier
Sources d’inspiration et méthodes de travail
Je suis inspiré par la nature, l’essence de la nature. Les arbres, les végétaux, ça vit. C’est une source d’inspiration permanente pour moi.
Lorsque j’étais jeune peintre à Paris, je me suis inscrit au cours du soir à l’école Boulle. “Cours de croquis sur modèle vivant”. Voilà comment cela se passait : deux minutes de pause du modèle, une minute de gestation et une minute pour réaliser le croquis. Je travaillais au pinceau. Ce que j’ai appris lors de ces cours, ça m’inspire encore. Quand on fait des croquis sur des modèles vivants – homme ou femme – ou sur la nature, on ressent une émotion. Cette émotion, je l’enferme dans ma mémoire. Je la transpose ensuite sur une matrice en cuivre en posant mon émulsion, puis je commence à graver. Je retranscris l’émotion avec le pinceau, ce qui donne un geste très nerveux, dynamique. Ensuite, il y a plusieurs heures de burin. Première écriture – pinceau – deuxième écriture – premiers traits de burin. Ensuite, l’abstraction va arriver. Elle est de l’ordre de l’intuition ou de l’inconscient. Je travaille dans un état méditatif. Chaque gravure est un voyage intérieur.
Je peux effacer plusieurs fois l’émulsion sur la matrice si les traits que j’ai faits ne correspondent pas à l’émotion que j’aie eue. Je ne veux pas m’engager au burin sur quelque chose qui ne me convient pas.
Je travaille aussi sur commande, pour des portraits, ou des illustrations. Le travail est alors totalement différent. Je travaille sur du bois. Là, je me sers d’un dessin préparatoire, puis je fais une transcription, à l’envers, grâce à un miroir. Mais je peux aussi calquer un dessin préparatoire accepté par un commanditaire et le transposer sur la matrice en cuivre par le biais du graissage de sa surface par une pâte à modeler.
Je travaille aussi avec des poètes ou en collaboration pour des livres d’artistes, mais il faut toujours que je ressente une émotion au départ pour envisager une collaboration. C’est une liberté que je me donne, de faire des choses qui me plaisent en tout.
L’atelier-ermitage
Je travaille dans une maison atelier. C’est une sorte d’ermitage. J’ai besoin du calme et de la solitude que je trouve ici. J’ai besoin de me sentir comme reclus. C’est important de travailler aussi ailleurs que chez soi, car on n’est pas dans le même état d’esprit. Parfois, je viens écrire ici, sur cette table. C’est une énergie différente qui circule. Je suis un grand intoxiqué du travail : je viens travailler tous les jours. Mon travail est ma manière de parler. J’ai besoin de cette forme d’expression.
C’est un peu comme si j’ouvrais une porte. Le regardeur peut rester au seuil de cette porte, ou bien entrer. Le regard, et la conversation qui s’ensuivent sont aussi ce qui me nourrit. En tant qu’artistes, on a besoin de cet échange-là. J’ai autant besoin de la solitude de la création que du partage qu’elle permet ensuite.
Le métier d’artiste, ou de créateur, est compliqué, parce que l’on s’expose, dans tous les sens du terme. On prend beaucoup de risques, car l’expression de nos émotions, de notre intériorité conduit à une mise à nu. On est des écorchés, des hyper-sensibles. L’émotion est vraiment au cœur de toute ma démarche.
Après toutes ces années de pratique, j’ai encore du mal à me vendre. Je souhaite juste avoir assez pour continuer à faire ce que j’aime. Je remercie ceux qui achètent mon travail, ce qu’ils ne comprennent pas parfois. Mais acheter le travail d’un artiste, c’est l’aider à poursuivre son chemin.

A travers l’art, j’essaie de comprendre qui je suis…
Au cours de la conversation, on a évoqué le travail de Christian Bobin, Yves-Marie Péron, François Dilasser, Fanch Moal. Serge Marzin dit qu’on peut se regrouper en famille d’artistes parce qu’on a une même façon de voir les choses, une même approche du réel et des émotions qu’il suscite en nous.
Dans l’esprit, je me sens montagnard. J’ai une fascination pour la montagne et la roche, tout ce qui est minéral. Et pourtant, mon travail part souvent du végétal. Je me sens habité en montagne. Le fait d’avoir eu un père militaire m’a appris à poser mes bagages n’importe où. Je peux être bien partout, mais il m’a fallu presque deux ans pour me poser ici, en Bretagne, et me sentir chez moi. J’aime l’idée d’appartenir à un lieu, mais je me plais partout.
La voix médiane
Je n’aime pas les dogmes, je n’aime pas être contraint par une hiérarchie. J’ai trouvé ma chapelle dans la philosophie bouddhiste. J’essaie d’être dans l’acceptation de ce qui est. En création, on ne peut pas aller contre ce qu’on est. J’exprime autant ma part féminine que masculine dans mon travail. Le burin pour moi, c’est zazen. Le concept de Deshimaru “Ici et maintenant” me convient parfaitement. C’est un art de vivre.
Je me sens artisan dans le sens noble du terme et j’admire le compagnonnage. Quand je transmets mon savoir, je le fais de manière compagnonnique. On doit apprendre, et ensuite il faut désapprendre, pour revenir au cœur et à l’essence des choses. Je trouve que cela manque dans la formation des artistes aujourd’hui. L’expérimentation c’est bien, mais il faut aussi maîtriser les techniques. J’accompagne parfois des jeunes qui veulent apprendre la gravure. Je transmets tout, sans chercher à garder pour moi de quelconques “secrets”.
La vie que je mène dans mon atelier est très proche de la vie monacale.
A travers l’art, j’essaie de comprendre qui je suis.
Dans le court extrait vidéo ci-dessus, on voit toute la finesse du travail de Serge Marzin, qui entame la plaque de cuivre, trait après trait, enlevant peu à peu des copeaux à peine plus gros que des poussières.
Un grand merci à vous, Serge, pour votre accueil, votre disponibilité et votre générosité!
Pour en apprendre davantage sur son travail, vous pouvez aller consulter son site.
Bel espace de travail 😝 Bon boulot !
Merci pour le partage de cette histoire-témoignage… 😉
Merci! 😀
Merci pour le partage de cette belle rencontre.
Contente que la visite t’ait plu! 😉
waouuuu, impressionnant et parcours très intéressant
Une très belle rencontre, très inspirante!