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Mais qu’est-ce qui motive les artistes?

Cela fait partie des choses que les gens savent mais auxquelles ils ne prêtent pas vraiment attention : les artistes qui vivent de leur art sont peu nombreux. On part du principe que c’est normal, que cela a toujours été ainsi. C’est pour ainsi dire une donnée du métier. Et la raison pour laquelle tant de parents découragent leurs enfants de vivre une vie d’artiste…

Et on les comprend! Franchement, qui voudrait d’un métier mal payé, mal considéré, où l’on travaille seul souvent et où, en plus, on a tout le temps les mains sales? Il faudrait être fou!

Photo by Vojna Andrea on Unsplash

Eh bien pourtant, on en trouve. Plein. Des peintres, des sculpteurs, des danseurs, des comédiens, des écrivains. D’accord, ils n’ont pas tous les mains sales et ils ne travaillent pas toujours seuls. Mais quand on leur demande ce qui les motive, pourquoi ils ou elles sont artistes et pas kinésithérapeutes ou trader, elles et ils répondent souvent de manière floue.

« Je me sens mal si je ne peins pas ». « Je ne pourrais pas faire autre chose. » « Un jour, je me suis senti comme happé par la couleur ». « Je ne peux pas faire autrement. » Difficile d’obtenir une explication nette et franche. C’est un peu comme si ça ne s’expliquait pas. Alors, on est artiste, ou on ne l’est pas, c’est ça? Qu’est-ce qui les fait donc courir, les artistes? Qu’est-ce qui les pousse à embrasser une carrière artistique, en dépit des avertissements et des difficultés?

La question me taraudait depuis un moment et j’ai décidé de me la poser d’abord à moi-même. Elle ne reflète donc que ma propre expérience et n’a pas vocation à expliquer plus généralement le phénomène. Mais si ce que je vais écrire ici résonne en vous, alors cela voudra dire qu’on peut discerner quelques points communs…

L’état de flow

Quand je regarde en arrière, mes premiers contacts avec la peinture et le dessin, dans les cours d’arts plastiques qui étaient dispensés au collège, il me semble que quelque chose d’important s’est joué à ce moment-là. La prof, qui avait découvert ce livre désormais devenu classique – Dessiner grâce au cerveau droit – nous a fait pratiquer certains des exercices qui y étaient conseillés. Ces cours de dessin m’ont permis alors d’expérimenter cet état de « flow » sur lequel le chercheur Csikszentmihalyi s’est penché quelques années plus tard. Une sorte d’état de grâce, où ma concentration était totale et où j’oubliais pour quelques heures un quotidien qui n’était pas réjouissant. Je ressentais alors la fluidité du moment, dans une forme de quiétude et de bien-être que je n’expérimentais nulle part ailleurs. Je pense que ces premières expériences m’ont fait associer expression artistique et pur plaisir / absence totale d’anxiété / joie extrême.

Au-delà de cet état particulier, j’ai discerné d’autres arguments qui viennent nourrir ma motivation.

Sensibilité et sensualité exacerbées

Tout d’abord une profonde – voire extrême – sensibilité, qui dans les premières années, n’a pas été acceptée par mes parents. Les émotions négatives ou fortes, ma mère me sommait de les ravaler. Je n’étais pas encouragée, pas tellement choyée non plus. Cette sensibilité que je devais contenir était comme un fleuve qui coulait pourtant, et que rien ne pouvait arrêter, pas même ma volonté de me conformer aux diktats parentaux. Alors, elle a pris la tangente et s’est exprimée d’une autre façon. Ça aurait pu être la danse, ça a été le dessin et les mots.

Ma sensualité s’est aussi manifestée très tôt. Ultra-sensible aux odeurs, aux horizons dégagés (qui me donnent la sensation que mes yeux respirent!), aux textures, au contact avec la nature, à la géométrie, aux jeux de lumière. Ma jeunesse est pleine d’images qui me ramènent vers ces sensations premières, dans un jardin, sur une plage, dans l’obscurité verte d’une forêt. La bonne odeur de fourrure du chien, la douceur des pages du livre, la sensation des draps en lin sur la peau. Tout cela me nourrissait et me nourrit encore.

Pour d’autres, ce sera la musique ou les mouvements du corps. Je pense que cette sur-sollicitation des sens est évidemment en lien avec l’extrême sensibilité mentionnée plus haut. Elles se nourrissent mutuellement. Et la créativité est pour cela une forme d’expression idéale.

Seule mais pas tout le temps…

Ce que je discerne aussi en moi, c’est le goût pour une certaine forme de solitude et pourtant une curiosité insatiable concernant le monde et les autres. J’aime le contact, et apprendre de ce contact. Tout m’intéresse et peut me nourrir. Mais j’ai aussi besoin de moments où je suis seule, au calme. Où je peux réfléchir, et créer sans être dérangée. Ce temps passé avec moi seule est une nécessité absolue. Quand je ne l’ai plus, je ne me sens pas bien du tout!

Photo by Annie Spratt on Unsplash

Du baume au cœur

Enfin, je pense que la pratique d’un art a un effet thérapeutique. Et nombre d’artistes sont des grands blessés de l’enfance (ou des sentiments). Créer est une manière de s’auto-réparer, j’en suis convaincue. Et cela rejoint l’état de « flow » dont j’ai parlé plus haut. Parce que l’acte de création nous plonge dans une expérience de bien-être, où l’on s’oublie, et où toutes nos capacités semblent comme décuplées, sans effort apparent, cela nous rassure et nous réconcilie avec le monde. C’est une manière de remettre de la beauté et de l’harmonie dans le chaos. Et cet acte réparateur agit comme un baume.

Au vu de ce que j’ai écrit, peut-on vraiment parler de « motivation » pour les artistes, au sens où on l’entend aujourd’hui? Il me semble que le fait d’être artiste est bien plus en lien avec des éléments intérieurs (sensibilité, expérience, etc…), profondément personnels, qu’avec des aspects extérieurs (désir de statut, de reconnaissance, de richesse, etc…). Si j’ai pu éclairer mes propres raisons pour avoir décidé de me consacrer enfin à ma passion après l’âge de quarante ans, je ne suis pas certaine d’avoir vraiment levé le voile sur la motivation à devenir artiste. Peut-être parce qu’on ne le devient pas?

Je vous invite à me faire part de vos commentaires, de vos idées, et éventuellement de votre propre expérience dans la suite de cet article. Il me semble qu’il y a beaucoup à dire à ce sujet et je suis curieuse d’avoir vos impressions!

Bonne fin de semaine et à très bientôt.

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8 Commentaires

  1. C’est très beau ce que tu écris, intéressant. Je crois que j’en avais déjà lu l’essentiel dans un ancien billet. Pour ma part, je n’aimais pas beaucoup les cours de dessin à l’école secondaire (équivalent de votre collège); d’ailleurs lorsqu’il a fallu choisir, pour les deux dernières années, entre dessin et musique, je n’ai pas hésité deux secondes pour opter pour la musique, pratiquant le piano avec passion et ayant peut-être l’espoir (que je savais déjà utopique) de devenir prof de piano. Mais j’ai commencé tard à l’apprendre (presque 12 ans) et je n’étais de toute manière pas assez douée. Mais pour en revenir aux leçons de dessin, je m’y ennuyais. On faisait pas mal d’exercices qui ne barbaient sur les couleurs avec des collages d’aplats p.ex. Ça ne m’intéressait pas car je trouvais cela rigide et, je savais que je dessinais bien, que j’avais un bon coup de crayon, on me l’avait toujours dit. Du coup, j’avais envie de progresser dans ce sens, de faire du dessin anatomique, du dessin plus libre et pas des trucs rigides comme ce que j’ai des aplats ou dessiner le mieux possible une nature morte au crayon. Pourtant, le prof était chouette mais 2 leçons de 45′ à la suite me semblaient passer à une lenteur…! Rétrospectivement, bien sûr, je me rends compte que cela m’aurait été utile de m’y intéresser et je me suis rattrapée lors de mon année préparatoire aux arts appliqués.

    Voilà pour moi. Bisous

    1. Tu as beaucoup de cordes à ton arc! 😀 C’est vrai, l’enseignement joue beaucoup aussi. Une prof passionnée peut emmener ses élèves très loin! Mais dans le cas contraire, on peut décrocher. J’ai pu le constater de nouveau avec mes enfants… Bon week-end. Bises.

  2. Je me retrouve beaucoup dans tes écrits.
    J adorais les cours d arts plastiques, j avais cet élan au coeur au point de vouloir en faire mon métier et mes parents m y ont découragé, ce n est pas un métier. J ai donc continué mes études sans envie pour partir sur un métier qui paye dans les assurances ou je me suis perdue: 1 burn out.apres consultations chez une psychologue, j ai appris sur moi même : même si j avais chez moi un bureau atelier ou j avais moulte matériel, et ou pendant toutes ces années je dessinais par moments, je finissais toujours par revenir à mon quotidien, mes obligations etc
    la perte de sens etait due au fait que je m étais coupé de moi-même. De ma source, de mon élan vital : le dessin, la peinture. C est mon moyen d expression, celui qui me prend aux tripes.depuis pas un jour sans peindre. La solitude de ces moments ne m a jamais pesé, je me retrouve, je m en nourris, j en ai besoin pour mon équilibre.
    Depuis ce burn out, j ai aussi franchi un autre pas , j expose, je me montre, je fais des journées peintres dans la rue.cela me rend joyeuse comme un enfant devant un magasin de bonbons.
    Il me permet cet équilibre, je vais ainsi joyeusement vers les autres.
    C est aussi le domaine où je cherche sans cesse à m ameliorer, apprendre, tester sans peur. Je m y amuse dans la joie.
    Ce qui coule dans mes veines est de la couleur.

    1. Merci pour ce partage Céline! J’imagine très bien cette renaissance que tu as dû éprouver en t’autorisant à faire ce que tu aimes le plus. Il faut se montrer, et aussi dire et témoigner, tu as bien raison!

  3. Amusant : je me retrouve dans chacun des éléments que tu décris. Et ce « flow » dont tu parles : c’est effectivement une magnifique expérience !

    1. Oui, du genre qui peut rendre accro! 😉 Si tu t’y retrouves, c’est que je ne suis pas tout à fait à côté de la plaque, alors! 😀

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