Commencer avec quelque chose de très simple
J’écris ce billet pour celles et ceux qui n’ont pas beaucoup de temps libre pour créer, et qui ont tendance à oublier cette nécessité que nous avons de nous exprimer avec les moyens à notre disposition. C’est vrai, il y a toujours, apparemment, plus urgent ou important à faire : un travail salarié ou non, de l’intendance, des relations….
Mais ce n’est pas si difficile, si l’on en a vraiment le désir, de dégager dix ou quinze minutes par ci, un petit moment par là, pour créer “quelque chose”, qui ne sera pas un chef d’œuvre, bien sûr mais qui aura deux mérites. Le premier sera de nous avoir permis de nous exprimer sur la feuille et le second, de faire avancer un peu les choses. Chaque occasion de créer est, en effet, une pierre de plus à l’édifice de notre œuvre, ou bien, de manière plus modeste, un pas supplémentaire dans la direction que l’on a choisie.
Hier, je suis allée marcher sur la côte et je suis toujours fascinée par les rochers, par la façon dont le temps et la mer ont poli leur surface. Certains deviennent tranchants et acérés comme des crocs, d’autres s’adoucissent et comme un savon, deviennent ronds et glissants. Leurs failles et leurs crevasses forment une sorte de danse immobile, anarchique ou très ordonnée.
C’est tout simplement en les observant que l’idée de réaliser cette série de dessins très simples m’est venue. J’avais pris un peu de temps le jour même pour enduire de gesso quelques feuillets arrachés à des livres – l’un récent et encore blanc, l’autre vieux et aux pages jaunies.



C’est sur ces surfaces que j’ai dessiné ces formes verticales, avec des feutres, du fusain et des crayons aquarellables. Rien de compliqué du tout, rien qui mérite non plus de passer à la postérité, mais quelques croquis qui me renseignent néanmoins sur ce qui attire mon œil, ce qui m’intéresse et m’ouvre des perspectives sur la manière de les traiter. J’ai essentiellement joué : avec le papier, avec les couleurs, avec l’eau ensuite pour diluer ces mêmes couleurs, avec la géométrie en choisissant la verticalité, à peine contrebalancée par l’horizontalité de l’eau. J’en ai fait une dizaine, et j’ai gardé seulement ceux qui me “parlaient” le plus pour les coller dans mon sketchbook. Les autres seront recyclés dans d’autres créations.
Quelque chose de dégage de ces dessins : un rythme, un élan, un choix de couleurs, une approche. C’est seulement un pas vers autre chose, mais si je n’avais pas pris le temps de le faire, le fossé se serait creusé et qui sait si j’aurais pu sauter ensuite?
Souvent je vois à l’atelier de Botbihan des personnes qui veulent aller d’emblée vers la toile aboutie, ou bien au contraire, qui commencent et se retrouvent bloquées parce qu’elles ne savent pas retirer les informations des premiers pas accomplis. Tout est lié, tout se tient. On ne peut pas arriver à destination si on ne fait pas tous ces pas, et on se perd si on ne lit ni les panneaux ni les balises…
Si vous vous sentez bloqué(e) parfois, autorisez-vous cela, les petits pas intermédiaires, le jeu qui prend dix ou quinze minutes par jour, mais si vous le faites tous les jours, ou au moins plusieurs fois par semaine, vous verrez au bout d’un moment que quelque chose est là et attend que vous le découvriez. Comme une pépite dans sa gangue de terre qui attend qu’on la dégage pour qu’elle puisse briller…
Autorisez-vous à commencer, seulement commencer, avec en tête quelque chose de très simple comme:
- dessiner pendant une semaine le même objet
- dessiner le même objet mais avec des médiums différents
- faire un collage par jour
- faire un croquis par jour (dedans ou dehors)
- dessiner la même forme simple et la traiter de différentes façons jour après jour
- laisser votre main vagabonder, gribouiller pendant que votre attention est accaparée par une émission de radio, un podcast, de la musique, une conversation au téléphone…
- dessiner sur du kraft, du journal, d’anciennes peinture, des photos…
- créer des motifs, des formes, des lignes inspirés par ce que vous avez vu dans la journée
Si vous faites cela chaque jour, pendant quelques minutes, dans un petit carnet, vous verrez au bout d’un mois toutes ces pages remplies. Vous vous sentirez fièr(e) de votre persévérance, vous verrez les progrès accomplis.
Vous tiendrez dans les mains cet objet contenant beaucoup d’informations sur vous, sur ce qui vous plait ou pas, ce qui attire votre œil, vos sujets de prédilection, vos techniques favorites et la place que prend la création dans votre vie.
Ah je devrais faire ça avec l’écriture, reprendre un carnet (ou un de tes jolis cahiers) et jeter régulièrement quelques mots sur le papier, des impressions, des souvenirs… Mais je ne prends pas le temps de m’arrêter de courir, et j’avoue que j’écris tellement et suis tellement accompagnée des mots (des autres) que lorsque je ne travaille pas, je n’ai pas du tout envie d’écrire pour moi… Seule la lecture m’attache encore aux mots… Faudra-t-il que je m’arrête de travailler pour à nouveau écrire ?