Pourquoi pas moi?

Quand ma sœur est née, j’avais six ans et demi. Elle ne mesurait même pas cinquante centimètres, mais elle prenait toute la place. Et moi, je me disais : pourquoi plus moi?  J’ai recommencé à réclamer des biberons à ma mère. Elle m’a répondu : ne sois pas jalouse. Comme si c’était normal, après six années et demie de vie d’enfant unique d’accepter qu’une petite chose vagissante vienne occuper 99% de l’espace qui nous était dévolu auparavant. Comme si c’était facile de renoncer à ça quand on a six ans. Bon, presque sept… 

Plus tard, bien plus tard, on rentrait parfois en famille de dîners chez des amis et j’entendais mes parents critiquer ceux qui venaient juste de les inviter, et tu as vu ceci et tu as entendu ça. Je détestais être le témoin de cette mesquinerie même pas déguisée. J’avais envie de dire à ma mère : ne sois pas jalouse. Mais je ne disais rien, car il m’a fallu encore quelques années pour comprendre que, sous ces commentaires acides, c’était la jalousie qui perçait, une jalousie maladive, dévorante , intarissable. 

La jalousie a du bon. Si on se rend compte que l’on est jaloux. Si l’on a le courage de se regarder dans la glace en se disant : toi, ma petite, tu es en train de jalouser Nathalie parce qu’elle s’est acheté une trottinette électrique ou Philippe parce qu’il a de la moquette sur le torse (je prends à dessein deux choses qui ne me font pas envie du tout, pour que vous n’alliez pas vous imaginer je ne sais quoi.) 

Ce qu’il a et que je n’ai pas. 

Ce qu’elle fait et que je ne fais pas. 

Ce qu’elle est qui n’est pas moi. 

Oui, la jalousie est utile, car elle nous donne la bonne direction, celle de ce que l’on désire faire (ou être ou posséder). Elle montre le chemin des actions à accomplir pour aller cocher la liste de nos envies. 

Alors ce matin, quand j’ai repensé à la journée d’hier, je me suis demandé si c’était de la jalousie. 

Parce qu’hier, figurez-vous que j’ai vu qu’Antonin Crenn allait rassembler les écrits de son blog dans une publication. Et ça m’a donné un petit coup d’aiguillon. Ça fait des semaines que je tergiverse pour savoir si je vais proposer un journal en ligne, ou des écrits qui ne seraient pas en lien avec la création, ou bien… J’ai même mis des textes en forme, commencé à penser à un recueil de nouvelles. Et à chaque fois, je me suis arrêtée en route.

Antonin, je l’ai connu du temps de Glaz, la revue collaborative que j’avais lancée il y a quelques années. J’y proposais divers articles et des nouvelles. Antonin m’avait envoyé une de ses histoires et elle avait fait l’unanimité du comité de lecture. Depuis, je le suis de loin en loin, et me réjouis de ses succès, car il en a déjà eu plein. Il ne tergiverse pas, Antonin. En tout cas, beaucoup moins que moi.  Alors quand j’ai vu ça, je me suis dit : pourquoi pas moi? Et j’ai lancé Un Pinceau dans le Café (le visuel était prêt depuis trois semaines!)

Hier toujours, j’ai découvert cette vidéo sur YouTube. Celia Bruneau, artiste-brodeuse, est hyper-instagrammable. Elle est brune, elle est jeune, elle a des jambes qui font deux mètres, et elle vit dans un magnifique atelier d’artiste à Montmartre, avec vue sur les toits de Paris. Je suis allée voir ses broderies, et j’ai eu envie d’essayer cette technique, que je ne connais pas. Je me suis demandé comment je pourrais traduire certaines de mes toiles en fils colorés. Encore une fois, ce petit refrain a résonné dans ma tête : pourquoi pas moi? 

Et hier enfin, après avoir reçu les pulls irlandais que j’ai commandés en prévision d’un hiver rude, j’ai eu envie d’autres vêtements que ceux que l’on trouve dans le commerce. Je me suis mise à la couture il y a quelques années déjà, et puis j’ai arrêté. J’ai créé des sacs, des sets de table, des trousses, mais jamais de vêtements. Je bloquais, me disais que c’était trop compliqué. Entre temps j’ai découvert les patrons de Make my lemonade. Et hier – vous vous y attendez un peu maintenant – je me suis dit pour la troisième fois : pourquoi pas moi? 

Alors ce matin, quand j’ai constaté que la liste de mes envies était longue comme la jambe gauche de Célia, je me suis demandé si c’était de la jalousie. Je me suis regardée dans la glace et je me suis trouvé un air fatigué. Mais j’ai eu beau sonder les profondeurs de mon regard, je n’ai pas ressenti la piqûre de la jalousie. Bien sûr, j’aimerais avoir trente ans de nouveau, et une dizaine de kilos de moins, mais je n’échangerai pas mon océan pour le zinc des toits de Paris.

Ce n’est pas de jalousie, c’est une faim. Une curiosité insatiable. Une envie. Celle de tout découvrir, de tout essayer, d’utiliser mes mains. Parce que je suis aussi capable de créer des meubles, de poser du carrelage, d’allumer du feu, de cultiver des légumes. Tout m’intéresse. J’ai envie de créer de toutes les manières possibles. De découvrir, de rencontrer, d’apprendre. Je suis comme ça. Quand je vois un truc nouveau, je me dis : pourquoi pas moi? 

Alors évidemment, après je me demande où filent les 24 heures de ma journée… Mais ça c’est un autre problème. Dont on parlera demain. Ou pas.

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4 Commentaires

  1. Depuis que je te connais Gwenaelle je suis admirative de ton dynamisme et de ta curiosité.Jamais de jalousie pour ma part, mais un profond Respect.
    Nous avons un enfant à la maison qui est très curieux également et a un besoin insatiable de tester, d’explorer de comprendre…C’est génial !
    Il faut croquer la vie comme elle vient à nous. Je t’embrasse !

  2. Ah j’aime décidément beaucoup te lire ! Et ce pourquoi pas moi résonne ici… Si je suis un peu jalouse de ta jolie maison en Bretagne, je sais aussi que ce sera bientôt moi aussi, même si mon bientôt n’a pas encore de vraie temporalité…
    Et comme toi, je me dis souvent : « ah moi aussi, j’aimerais bien… je pourrais… » La liste de mes envies est bien plus longue que les jambes de n’importe quelle instagrameuse !
    J’aimerais…
    – reprendre le piano et m’y tenir
    – m’installer en Bretagne
    – ouvrir un café littéraire – bar culturel
    – animer des ateliers d’écriture et de lecture
    – apprendre à faire de la voile
    – me mettre au modelage et à la sculpture
    – faire de la danse (mais avec un cours sans spectacle !)
    – apprendre à dessiner et à peindre
    – me remettre à la couture
    – finir d’installer ma maison
    – écrire un livre, ou me servir moi aussi de mes textes épars
    – me mettre à la permaculture – avoir un jardin
    – apprendre à faire du roller (et ne pas me retrouver dans le plâtre pendant 2 mois !!)

    Je crois que ma vie ne sera jamais assez longue pour tout faire ! Mais chaque chose que je fais, je la kiffe ! Et ça me plait aussi, cette soif d’autres choses, ces envies qui me titillent… Je crois que ma retraite sera hyper active !

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