Voir et revoir

Le lundi matin, je revois la mer. Le jour se pointe à peine, et joue des épaules, pour percer entre les nuages chargés de pluie qui m’arrivent, droit dessus. Je hâte le pas. Aucune envie de me faire mouiller.

J’aime la retrouver de cette façon, la mer. On s’est quittées depuis trois ou quatre jours déjà, et je l’ai un peu oubliée, prise que j’étais par les sortilèges verdoyants de la nature exubérante des monts d’Arrée. J’aime ce mouvement de balancier dans ma vie, quelques jours ici, quelques jours là. Décors différents, relations séparées, le temps qui ne s’écoule pas tout à fait pareil, et jusqu’au contenu de mon dîner qui diffère selon que je suis ici ou là-bas. 

Douarnenez à 7h42

Pourtant, parfois j’en ai assez de me sentir dans une sorte de transhumance perpétuelle. Faire les valises, les courses, charger la voiture. Partir, revenir. Décharger, ranger, nettoyer. Je râle intérieurement, parce que je suis comme tout le monde, j’aime bien râler un peu. Et puis je me souviens que j’ai le choix. De râler ou pas. De partir ou de rester. Alors tout d’un coup, ça va mieux.

Ce matin, après avoir retrouvé la mer, j’ai retrouvé mon atelier. Je me suis mise au travail, avec un grand blanc dans la tête. Je ne savais vraiment pas quoi faire. Alors j’ai pris une feuille, j’ai crée un fond bleu-noir et j’ai commencé à coller des morceaux de ceci et cela. Je ne savais pas où j’allais. Ça m’arrive de plus en plus souvent, et ça me fait presque peur. C’est comme de conduire de nuit, les phares éteints. On voit à deux mètres à peine. On ne sais pas où on va. Ni même si on y va. Le fossé n’est jamais loin. 

Pourtant, j’ai continué. Je me suis obstinée, avec en tête, malgré tout, l’envie de traduire la profusion du végétal, son anarchie apparente, la manière dont tout se déploie avec une générosité de flambeur. Allez, tiens, prends ça! Je ne sais pas si j’y suis parvenue. Et peu importe, à vrai dire, car j’en retirerai forcément quelque chose.

Maintenant, la peinture sèche. Comme je l’ai dit sur Instagram, je suis incapable, en effet, d’évaluer mon travail aussitôt que je l’ai terminé. J’ai besoin de temps, de laisser reposer pour le retrouver, comme la mer, d’un œil neuf. D’un œil aimant, critique mais aimant. 

Collage et peinture en attente de révision

Comme quoi, on apprend, avec le temps. Avant, j’avais tendance à juger d’emblée si c’était réussi ou non. Et je mettais au rebut des peintures que, trois mois après, j’aurais trouvées formidables d’épure. Savoir quand s’arrêter. Savoir quand garder, ou jeter. Pour cela il faut rafraichir son regard régulièrement. Le laver à l’eau de mer ou à l’eau de pluie. Mais le laver. Lui faire voir autre chose. 

L’autre chose que j’ai vue aujourd’hui, c’est le travail d’Alice Neel, que je ne connaissais pas. Et curieusement, deux fois son nom a été mentionné dans mon entourage entre hier et aujourd’hui. Hier, un autre peintre qui faisait référence au travail de l’artiste américaine pour expliquer le sien. Aujourd’hui, le podcast de l’émission Toute une vie, justement consacré à Alice Neel. Le hasard semble me mettre sur la voie des baroudeuses, des atypiques, de celles qui vivent en rupture et qui choquent. 

Je me demande si je dois y voir là un message. 

Plus j’y pense, et plus je sais qu’il y a un message. 

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