Soirs

Je t’entends chantonner dans la cuisine tandis que tu râpes les carottes. La radio fait son bruit de fond – trame de mauvaises nouvelles tissées de fausses promesses – qui se mêle au frottement lancinant du légume sur le métal et ses trous. L’orange s’amoncelle dans le saladier. Avec, tu feras une vinaigrette bien relevée.

Le soir se délite sous la pluie qui frappe la vitre comme si elle voulait entrer. Fine couche de verre qui nous sépare du froid, du dehors et du désespoir de ceux qui n’ont pas de toit. Au loin les lumières se diluent sous la ligne d’horizon. Le noir a pris possession du ciel et des murs qui se dressent sans qu’on les voie.

J’allume la lampe. Son cercle éclaire les pages d’un livre tout juste commencé. Les voix de la radio m’empêchent de me concentrer. Je pense à fermer la porte, mais le geste ne suit pas. Les voix se diffusent dans l’espace telles de mauvais augures. Tu as l’habitude d’écouter de la musique, parfois même tu esquisses quelques pas de danse sur le plancher qui craque. 

Je suis seule. Non, pas seule, c’est faux de dire cela. Toi, deux chiennes, un feu qui ronfle, une odeur de fourrure, dans la lumière d’une brassée de fleurs. Je ne suis pas seule. Je suis avec moi-même et je ne sais pas ce que je me réserve.

L’immobilité des objets est chahutée par le reflet des flammes. Ça pourrait être le silence. Une bulle de silence porté à l’incandescence dans la nuit qui enveloppe la ville, trouée ça et là, par la pâleur orange des réverbères.

Mes mains sur le clavier attendent la matérialisation d’une pensée, mais je ne sais toujours rien du processus qui conduit cette pensée tout au long du fil de mes bras jusqu’à la pulpe des doigts. Je pense à quelqu’un. Quelqu’un qui n’a pas de forme et pas de lieu. Un ectoplasme en quelque sorte.

Certains soirs, les pensées sont une sorte de gélatine qui ne prend pas. 

A lire également

Un Commentaire

Les commentaires sont fermés.